Fournir une définition contemporaine de l’identité s’avère une entreprise aussi ambitieuse qu’ardue tellement les approches scientifiques divergent : illusion engendrée par le temps (Hume), « invariant relationnel » (Ricœur, 1990), construction sociale, « état de choses relatif et flottant » (Weber, 1922), fiction « résultant d’un processus social de construction et d’imposition » (Collovald, Gil, Sindzingre, Tap, Universalis), substance, transcendantal ou effet de perception (Kaufmann, 2004), fruit d’enjeux sociaux produits à force d’assignations identitaires (Bonnet, Menneson, 2019).
Pourtant, redonner à l’identité une profondeur scientifique s’impose tant l’emploi politique et journalistique du concept en simplifie les contours et la portée et qu’émergent des questions (re)contextualisant la question de l’identité aux représentations et situations contemporaines (identité de genre, identités éditoriales, identité numérique…). Le concept regagne en pertinence dans un monde où se ressent de plus en plus le besoin de tracer des frontières tant au niveau collectif qu’individuel afin de marquer les limites et les ressemblances (« mêmeté », Ricœur) par rapport aux autres. Les sciences humaines et sociales ont d’ailleurs largement démontré que la question de l’identité est éminemment sociale puis qu’elle ne peut se concevoir sans l’altérité. En effet, les éléments nécessaires à sa construction découlent de conflits permanents entre similarité et différence, de « crises d’identité » (Erikson, 1968) constitutives de l’évolution d’un individu ou d’un groupe d’individus. À travers les conflits qui les crée et qu’elles affrontent (ancien vs nouveau, présent vs passé, structures conventionnelles vs paradigmes émergeants), les crises contribuent donc à restructurer les identités. Or, la construction des identités de nos jours est profondément conditionnée par les évolutions culturelles et technologiques. Le web a démultiplié les modalités d’expression du soi (Allard, 2003) et donné corps à l’identité numérique (Georges, 2007), concept qui modélise les actions et les résultantes d’actions en ligne alors que se développent et se multiplient toutes sortes de phénomènes sociaux chaotiques et alarmants. Plus que jamais s’impose la reconfiguration des identités augmentées et démultipliées via les conversations numériques au risque d’en dissoudre le sens dans le maelström d’informations en ligne.
Les pratiques contemporaines confèrent aux identités de hauts degrés d’instabilité. Le changement accéléré que connaissent désormais les rôles, les fonctions et les emplois est source d’inquiétude pour le quidam. L’accélération des processus à tous niveaux fragilise voire condamne d’avance toute chance de prédiction. Considérer l’identité comme « sentiment de soi d’un individu ou d’un groupe » (Huntington, 2005) permet de focaliser l’approche sur les facteurs psychologiques. Considérer les sociétés comme des « communautés imaginées » (Anderson, 1983) n’est au mieux qu’une conséquence de la fixité des projections et des interprétations largement répandues sur les événements, les objets ou les territoires et dont la signification procède par l’intermédiaire des techniques spécifiques de la mémoire. Les modalités de conservation, de transmission et de modification des identités permettent de comprendre comment, par l’intermédiaire de manifestations discursives, la subjectivité se combine avec l’objectivité afin de construire des identités intersubjectives plurielles et volatiles. Finalement, nous ne représentons que des sommes de discours qui évoluent dans des contextes linguistiques omniprésents et indestructibles. Et les limites de notre langage sont, comme le montre Wittgenstein, les limites de notre monde (1921).
La relation entre les identités individuelles et les identités collectives n’est jamais assez mise en valeur, puisque l’image de soi se forme par rapport à un système de valeurs transmises et partagées au niveau social. Dans les formations identitaires, les formes discursives jouent donc un rôle capital. Devenue mosaïque changeante et hétérogène, l’identité mélange multiples identifications et images issues des systèmes externes. Ainsi, « l’attribution de l’identité est-elle la conséquence d’un choix de critères d’identité» (Wieseltier, 1996). Le choix des critères d’identité dépend des idéologies prédominantes, exprimées en discours de pouvoir fondés sur des hiérarchies de valeurs qui sous-tendent l’image sur l’homme produite à une époque donnée. Malgré la substantielle offre de formes discursives
disponibles, le monde contemporain affecte de compliquer la construction de l’identité. L’absence de consensus sur un ensemble de valeurs et de principes éthiques, la diffusion virale de fausses informations, et la vitesse avec laquelle les identités sont construites, déconstruites et reconstruites, créent un relativisme culturel qui conduit, finalement, à la frustration, au bouleversement, voire à la désorientation (Stiegler, 1996).
Contre ces phénomènes négatifs il semble important de questionner et de préciser des modalités de conservation des réalisations, des épistémès et des valeurs pouvant constituer de solides prémisses pour la construction d’identités pérennes, tant au niveau collectif qu’individuel. L’interrogation des modalités dont notre culture cherche la vérité et l’authenticité est essentiellement enchevêtrée avec les types de discours qui pourraient être utilisés afin de garder la mémoire, de justifier les décisions et de former des identités solides et constantes.
Les messages mis en circulation sur le web, quand ils s’appuient sur des témoignages et des traces écrites ou audiovisuelles participent de la « transmission » à travers le temps (Bougnoux, Gaillard : 2001) d’informations à caractère patrimonial. En effet, les technologies numériques ouvrent aux récits mémoriels des espaces (blogs, pages Facebook, sites web…) de surcroit offerts à des occasions d’échanges (conversations numériques, partages entre pairs…).
La relation au patrimoine (Bogdan, Fleury, Walter, 2015) et plus précisément son appropriation par des quidam sont l’objet de d’initiatives (de gestes) de patrimonialisation (Davallon, 2012) : pages personnelles, groupes de discussion, publications… Elle peut mobiliser des objets (Fleury, Walter, 2015) faisant « passerelle avec le passé » (Dulong, 1997 : 65) ou opérer via la collecte et la mise en forme de traces d’événements relatés dans les médias, donc à travers un double niveau de discours : les récits audiovisuels ou radiophoniques qui participent de la mémoire culturelle des territoires, le réemploi de ces sources dans des méta-récits.
Alors que le web contemporain est pollué par toutes sortes d’informations fallacieuses susceptibles de brouiller les processus patrimoniaux, contre le cancer de la désinformation (fake-news) ou de la réécriture mensongère il convient de certifier la validité factuelle des récits (factualité) et de les contextualiser. Recueillir la parole de témoins, raconter le passé oblige, au plan discursif, d’introduire des marqueurs garantissant la fiabilité des témoignages (Amossy, 2009) et leur authenticité en regard d’événements narrés et des modalités énonciatives (Idem, 2004) et d’établir des effets de réel (Barthes, 1988).
Les propositions de communication concernant le rapport au patrimoine pourront notamment analyser la relation entre mémoire et territoire et interroger les formes discursives convoquées à des fins mémorielles dans les récits à vocation patrimoniale, ainsi que la place et les formes prises par l’ethos auctorial (Amossy, 2009) dans une perspective mémorielle visant un territoire ou de (re)construction de l’identité territoriale.
Afin d’explorer des sujets liés aux thèmes suggérés ci-dessus, nous invitons des spécialistes des domaines variés : linguistique, analyse du discours, études littéraires, sciences de l’information et de la communication, études culturelles, sociologie, philosophie, art, journalisme, … à nous faire parvenir leurs propositions de communication et à s’inscrire dans l’une des sections suivantes :
– Patrimoine et patrimonialisation : mémoire et territoires
– Minorités, médias et nouveaux médias : enjeux, réalités et perspectives
– Nouvelles formes d’expression dans le discours littéraire et non littéraire – Le discours mémoriel et la littérature subjective
– Fiction et mémoire collective
– Constructions identitaires et formes de communication
Les propositions pourront être rédigées en anglais ou en français. Elles seront évaluées en double aveugle. Une sélection des meilleures communications seront publiées dans la Revue Interstudia indexée EBSCO, CEEOL, INDEX COPERNICUS.
Merci de bien vouloir adresser par courriel à : formesdiscursives2020@ub.ro avant le 15 janvier 2021 une fiche d’inscription au format .doc ou .docx sur laquelle seront précisés :
1) les coordonnées des auteurs
– Nom et prénom :
– Titre scientifique et grade :
– Affiliation :
– Thématiques de recherche personnelles :
– Publications représentatives (max. 3) :
– Courriel :
– Téléphone :
– Adresse postale :
2) la proposition de communication
– Titre de la communication :
– Langue de présentation :
– Langue de publication :
– Thématique (dans laquelle s’inscrit la proposition) : – Cinq mots-clés :
– Résumé (250 mots) :
– Équipement technique nécessaire :