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(31/03/2021) AAA – Revue Études de communication: Influenceurs et Influenceuses santé : les récits et les savoirs du corps sur les réseaux sociaux

Dans une période de prolifération de contenus numériques portant sur la santé, le bien-être et lelifestyle, ce numéro d’Études de communication explorera les pratiques info-communicationnelles d’exposition de soi en ligne (Denouël & Granjon, 2010) mettant en avant une spécificité physique ou un positionnement dans le domaine scientifique et médical lié à des pathologies ou à des controverses sanitaires. Nié et mis à distance par les processus de virtualisation, le corps retrouve une place centrale précisément à partir de ses reproductions « médiées » (Dufrêne, 2002) par les dispositifs numériques où s’inscrivent les « techniques de soi » (Foucault, 2001/2012). Les récits autour de la diversité corporelle, alimentés à la fois par la mise en scène de soi sur les réseaux sociaux et ses reprises médiatiques, peuvent également être impulsés par un aléa de la vie, un désir de retourner le rapport de genre, de transformer, de resignifier ou de rendre son corps performant (à travers une activité physique ou thérapeutique). Qu’elles soient stigmatisantes (Goffman, 1963/2015) ou valorisantes, ces spécificités font l’objet de nouvelles stratégies de mise en visibilité (Voirol, 2005) et de construction communautaire.

Par leur présence et leur production symbolique en ligne, des acteurs pluriels, patients, professionnels, usagers des réseaux sociaux, peuvent s’engager dans la publication d’images, de connaissances et de croyances autour du corps susceptibles de sensibiliser et influencer des vastes communautés d’internautes. Ces pratiques d’influence impliquent une modification des processus cognitifs, émotionnels et comportementaux d’autres individus ou groupes (Mucchi Faina, 1996). Dès les années 1940, les recherches de Paul Lazarsfeld ont démontré que si les effets des médias s’avéraient faibles, les figures de leaders d’opinion faisaient preuve d’une forte capacité à orienter les avis et les comportements de leur entourage (Katz & Lazarsfeld, 2008).

Actuellement, les espaces publics numériques constituent les nouvelles arènes de déploiement d’une forme d’influence qui repose sur la construction dialogique de l’identité en ligne et la maîtrise du regard d’autrui. En élargissant les modes de mise en visibilité du vécu du corps et des connaissances acquises, ce mouvement peut également s’inscrire dans une logique de dénonciation des normes sociales impliquant une lutte pour la reconnaissance des identités méprisées (Fraser, 2005/2011 ; Honneth, 2008). Toutefois, mesurées à partir de métriques algorithmiques de performance, les dynamiques de la reconnaissance en ligne peuvent aboutir à des conséquences paradoxales. Les pratiques de présentation de soi passent en effet souvent par une démarche d’individualisation (Le Bart, 2008) prétendant se détacher des structures collectives de la reconnaissance sociale et impliquant l’adhésion à une pensée libérale. Ainsi, la célébration du je comme étant un être modulable et optimisable encourage une logique de marchandisation de soi et de son récit biographique (Illouz, 2006).

L’influence exercée par ces nouveaux acteurs est également déterminée par les effets d’amplification et de médiatisation de leurs profils dans d’autres espaces numériques. Les plateformes agissent ainsi comme une caisse de résonance sortant ces contenus de leur niche et les présentant au grand public, à travers des phénomènes de reprise, de dialogisme et de distorsion. Si leur cadrage se caractérise souvent par un traitement valorisant la lutte pour la visibilité, il peut rapidement migrer vers une vision métaphorique de la maladie (Sontag, 2009) et une instrumentalisation de ces récits, en déployant un registre sensationnaliste. En produisant une continuité visuelle et symbolique, les éditeurs et les profils d’influenceurs et influenceuses coécrivent un discours qui livre aux communautés en ligne un idéal dans lequel se projeter.

Des observations préliminaires sur ces pratiques indiquent que le genre (Bereni et al., 2008) est un axe fort dans l’élaboration des récits. Les premiers travaux en sciences de l’information et de la communication portant sur le genre ont montré comment les magazines féminins et la publicité ont véhiculé des représentations de la femme de façon à promouvoir des pratiques de consommation et plus largement, un idéal de la femme (Dardigna, 1978), tout en préservant la logique de la domination masculine (Bourdieu, 1998). Ainsi, l’exposition du corps mise en œuvre par les influenceurs et influenceuses peut être révélatrice de la tension entre la volonté de publiciser une maladie et/ou un corps différent tout en essayant de se conformer à un type de beauté normalisé. Par ailleurs, cette exposition peut également s’articuler avec les travaux qui interrogent les techniques de beauté (Ghigi, 2016), ceux portant sur le processus d’empowerment des femmes dans sa dimension politique, émancipatrice (Bacqué & Biewener, 2013) et d’autoformation sur la maladie (Danjou, 2019).

Déjà fortement exploitée dans le domaine du marketing, la figure d’« influenceur/influenceuse » reste pourtant faiblement problématisée dans les SIC. Cette discipline s’est pourtant intéressée aux dispositifs socio-techniques comme les blogs et les forums de santé (Akrich & Méadel, 2009 ; Lamy, 2017), à la médiatisation des récits des malades (Lafon & Pailliart, 2007) et à la construction des savoirs expérientiels (Simon et al., 2019). L’originalité de ce dossier se trouve alors dans l’articulation entre des pratiques individualisées (dont le profil numérique en est le corollaire) et des stratégies de mise à profit des communautés dans le domaine de la santé. Comprenant à la fois des acteurs professionnels et des trajectoires de professionnalisation, la catégorie d’« influenceur/influenceuse santé » constitue un objet en tension que le présent dossier essaie de construire et de questionner.

Les propositions pourront s’inscrire dans les quatre axes suivants :

  1. Politiques d’exposition de la différence corporelle  : tensions entre la dimension politique de l’exposition du corps et les logiques marchandes.
  2. Reprise médiatique et circulation des discours numériques : reprise et reformulation de la parole des internautes par des médias et des plateformes d’édition de contenu.
  3. Genre et influence numérique  : renforcement ou questionnement des rapports de genre, représentations de l’empowermentdes patients et patientes.
  4. L’influence en ligne des professionnels de santé : déploiement des réseaux d’influence par les praticiens de santé participant à la construction de controverses et de contre-discours en ligne.

Comité de lecture 

Lorena Antezana (Université du Chili, Chili)

Isabelle Bazet (CERTOP, Université de Toulouse 2)

Alexandre Coutant (Université de Québec, Canada)

Jean-Philippe De Oliveira (GRESEC, Université Grenoble Alpes)

Olivier Galibert (CIMEOS, Université de Bourgogne)

Thomas Heller (GERIICO, Université de Lille)

Virginie Julliard (CELSA, Université Panthéon-Sorbonne)

Pina Lalli (Université de Bologne, Italie)

Aurélia Lamy (GERIICO, Université de Lille)

Aurélie Olivesi (ELICO, Université Lyon 1)

Caroline Ollivier-Yaniv (CEDITEC, Université Paris-Est Créteil)

Philippe Ricaud (CIMEOS, Université de Bourgogne

Sandrine Roginsky (Université Catholique de Louvain, Belgique)

Sélection des propositions

La sélection des propositions de contribution se fait en deux temps :

  • sur la base d’un résumé de 1 500 à 2 000 motsqui présentera les objectifs, l’argumentation et l’originalité de la proposition ainsi que quelques orientations bibliographiques,
  • pour les résumés retenus, une seconde évaluation sera réalisée sur la base des articles définitifs.

Les instructions aux auteurs, à respecter scrupuleusement, sont disponibles sur le site de la revue : https://journals.openedition.org/edc/668.

L’évaluation sera assurée de manière anonyme par au moins deux lecteurs du comité.

L’envoi des résumés au format Word (.docx) ou OpenDocument (.odt) se fait au plus tard le 31 mars 2021 aux trois adresses suivantes :

Les propositions d’articles et les articles définitifs d’une longueur de 35 000 à 40 000 signes (espaces, notes de bas de page et bibliographie compris) peuvent être soumis en français, en portugais ou en anglais. Les articles définitifs sont publiés en français pour la version papier du numéro de la revue, et en anglais, et français pour la version électronique. Aucun engagement de publication ne peut être pris avant la lecture du texte complet.

Calendrier

31 mars 2021 : soumission des résumés pour évaluation

30 avril 2021 : notification de l’acceptation ou du refus

6 septembre 2021 : remise de la version complète des articles

6 décembre 2021 : réception des versions définitives des articles

Juin 2022 : publication du dossier dans le numéro 58 d’Études de Communication

Appel à articles pour la rubrique Varias

Études de communication lance un appel à articles permanent pour sa rubrique Varias.
Toutes les propositions dans les différents domaines de la recherche en SIC sont les bienvenues. Les consignes de rédaction sont disponibles sur le site de la revue : https://journals.openedition.org/edc/668.

Bibliographie indicative

Akrich, M. et Méadel, C. (2009). Les échanges entre patients sur internet. La Presse médicale, 38(10), 1484-1493. https://doi.org/10.1016/j.lpm.2009.05.013

Bacqué, M-H. et Biewener C. (2013). L’empowerment, une pratique émancipatrice. La Découverte.

Bereni, L., Chauvin, S., Jaunait, A. et Revillard, A. (2008). Introduction aux Gender Studies. Manuel des études sur le genre. De Boeck.

Bourdieu, P. (1998). La domination masculine. Seuil.

Danjou, S. (2019). Autoformation et empowerment des femmes ayant un lupus. Spécificités, 14(3), 27-40. https://doi.org/10.3917/spec.014.0027

Dardigna, A-M. (1978). La presse « féminine ». Fonction idéologique. Maspero.

Denouël, J. et Granjon, F. (2010). Exposition de soi et reconnaissance de singularités subjectives sur les sites de réseaux sociaux. Sociologie, 1(1)25-43. https://doi.org/10.3917/socio.001.0025

Dufrêne, B. (2002). La place du corps dans les sciences de l’information et de la communication.Les Enjeux de l’information et de la communication, 3(1), 39-47. https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2002/varia/05-la-place-du-corps-dans-les-sciences-de-linformation-et-de-la-communication

Foucault M. (2012). Les techniques de soi. In Dits et écrits II (p. 1602-1632). Gallimard. (Première édition 2001).

Fraser, N. (2011). Qu’est-ce que la justice sociale ? Reconnaissance et redistribution. La Découverte. (Première édition 2005)

Ghigi, R. (2016), Beauté. InRennes, J., Encyclopédie critique du genre (p. 77-86). La Découverte.

Goffman, E. (2015). Stigmate. Les usages sociaux des handicaps. Minuit. (Première édition 1963)

Honneth, A. (2008). La lutte pour la reconnaissance. Cerf.

Illouz, E. (2006). Les sentiments du capitalisme. Seuil.

Katz, E. et Lazarsfeld, P.F. (2008). Influence personnelle. Ce que les gens font des médias.Armand Colin, Ina.

Lafon, B. et Pailliart, I. (Éd.) (2007). Malades et maladies dans l’espace public. Questions de communications, 11, 7-15. https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.7319

Lamy, A. (2017). Mise en cause de l’autorité médicale et légitimation du discours d’expérience sur les forums de discussion en ligne. Quaderni, 93(2), 43-52.https://doi.org/10.4000/quaderni.1074

Le Bart, C. (2008). L’individualisation. Presses des Sciences Po.

Mucchi Faina, A. (1996). L’influenza sociale. Il Mulino.

Simon, E., Arborio, S., Halloy A. et Hejoaka, F. (2019), Les savoirs expérientiels en santé. Fondements épistémologiques et enjeux identitaires. Questions de communication, série actes, 40.

Sontag, S. (2009). La maladie comme métaphore. Christian Bourgeois. (Première édition 1977)

Voirol, O. (2005). Les luttes pour la visibilité. Esquisse d’une problématique. Réseaux, 129-130(1-2), 89-121.