AAA/AAC

(15/03/2021) AAA – Genre, sexualité & société: Arts, Cultures et Activismes LGBTI et Queer

Date limite de soumission: 15 Mars 2021

Coordination : 

  • Louise Barrière (Doctorante –Musique & Arts du Spectacle, 2L2S, Université de Lorraine) 
  • Mélodie Marull (Docteure –Arts plastiques, CREM, Université de Lorraine) 

En 2017, le long–métrage de fiction 120 battements par minute, réalisé par Robin Campillo, porte sur le grand écran l’histoire d’Act Up-Paris, association de lutte contre le sida fondée en 1989. Le film gagne l’approbation tant de la critique que du public ; et ce succès est intéressant à plus d’un titre. D’abord parce que le film met en scène l’histoire d’une lutte portée, des années 1980 à nos jours, par les mouvements LGBT. Aussi, parce que la popularité de 120 battements par minutes réveille, du côté des interlocuteurs institutionnels, le débat autour d’un projet de centre d’archives LGBT à Paris, porté par des militant·es, qui fondent en 2017, à la faveur du succès du film et à l’impulsion d’Act Up-Paris, le collectif Archives LGBTIQ. L’histoire de ce film, de sa création à sa réception, révèle ainsi les intrications multiples de l’art, la culture, et la politique des mouvements LGBTI et queer. Ce sont ces agencements, dans toute leur variété, que nous proposons d’interroger ici. 

L’intitulé de ce dossier, « Arts, Cultures et Activismes LGBTI et Queer » joue de termes polysémiques, mobilisés dans la formation de concepts qui émergent eux-mêmes de disciplines variées. « Cultures » peut ainsi désigner, dans un sens anthropologique, l’ensemble des traits distinctifs caractérisant le mode de vie d’une communauté (voir par exemple les travaux de Kennedy & Davis, 1993 ; Lewin & Leap, 1996), mais également référer aux cultures populaires (de Lauretis, 2007), aux industries culturelles, ou encore à la culture légitime. « Queer » se fait quant à lui terme « parapluie », englobant l’ensemble des identités LGBTI (Lesbiennes, Gays, Bisexuel–les, Trans’ et Intersexes), mais peut aussi renvoyer à une forme de militantisme radical, ou, dans l’acception de (gender)queer, à des identités de genre troublant la binarité masculin–féminin (Butler, 2005), si ce n’est à une anti–identité (Alexander, 1999 ; Gamson, 1995). Si les auteurs et autrices demeurent libres de choisir l’interprétation qu’ils et elles feront de ces termes dans la construction de leurs terrains et objets d’enquête, penser leur diversité et leurs liens appelle à la constitution de dialogues interdisciplinaires. Afin d’établir une première esquisse de ces questions, nous donnons ci-après un aperçu non exhaustif des concepts mobilisables dans l’analyse des manières variées dont s’entrelacent cultures, esthétiques, identités et actions collectives. 

Considérant les objets culturels et artistiques mobilisés par les mouvements LGBTIQ, ainsi que leurs modalités de création, présentation, consommation ou réception critique, nous pensons ceux–ci non pas comme des objets autonomes, mais comme des outils nous permettant de comprendre l’organisation des sociétés contemporaines et des rapports sociaux de pouvoirs qui les structurent, à l’instar des démarches issues des Cultural Studies (Cervulle, Quemener & Vörös, 2017 ; Neveu, 2010). La production culturelle et médiatique, la création artistique, les espaces de rassemblements communautaires, des plus explicitement militants aux plus festifs d’entre eux, permettent en effet 

bien souvent aux personnes LGBTIQ de retrouver une forme d’agentivité face aux poids des normes « cishétéropatriarcales » –ceci, non sans toutefois se voir parfois opposer certaines limites (voir par exemple Espineira 2017 ; Gieseking, 2020). Dès lors, il s’agit de ne pas voir en ces objets culturels de simples représentations symboliques des politiques à l’oeuvre dans les communautés et mouvements LGBTIQ, mais également de souligner leur capacité à produire et renforcer des identités collectives (Almar, Cantacuzène & Lefaucheur, 2014), ou encore à renégocier leurs significations (Amato, 2016). Plus encore, ils cristallisent des enjeux tant hégémoniques que contre-hégémoniques (comme le rappelait Hall, 1981 [2010]) ; c’est pourquoi il importe par exemple aussi bien d’étudier la construction culturelle et médiatique de l’homonormativité, dont les aspirations normalisatrices relèvent elles aussi d’idées et d’engagements politiques particuliers (Vanlee, 2019), que de s’intéresser aux résistances qui lui sont opposées. L’identité n’est donc pas à comprendre comme figée et essentialiste, ni comme une unité naturellement stable et inaltérée, mais comme un concept « stratégique et situé » émergeant du « jeu des modalités spécifiques du pouvoir » (Hall, 2008 : 379-380). En ce sens, militant-e-s, artistes et individus peuvent se rassembler autour d’une identité collective, cristallisant différentes revendications, à commencer par leur droit à « vivre des vies vivables » (Butler, 2017). Or, c’est bien dans cette revendication élémentaire que naît leur dimension politique. 

Dès les années 1980, Fillieule (1988) souligne par exemple le développement de médias consacrés « aux styles de vie, aux aspects culturels et aux services commerciaux offerts aux homosexuels », comme le journal Samouraï ou la radio pirate Fréquence Gaie. Plus tard, Eleftheriadis (2018) analyse la manière dont les festivals queer et leur public font collectif autour d’une « anti–identité ». Or, ces productions culturelles, médiatiques ou événementielles constituent à la fois un levier d’action et une finalité, caractéristique de ce que Duyvendak nomme des « mouvements identitaires » (1996). Par leur biais s’ouvrent alors des espaces de rassemblement et d’expression qui rejoignent le concept de « contre–public subalterne », développé par Nancy Fraser afin de désigner des « arènes discursives parallèles [à l’espace public dominant], où les membres de groupes sociaux subordonnés inventent et mettent en circulation des contre-discours qui leur permettent, in fine, de formuler des interprétations oppositionelles de leurs identités, intérêts et besoins » (Fraser, 1990 : 67). Par la suite, les travaux de Fraser ont également largement trouvé écho du côté des Queer Studies (comme chez Halberstam, 2005 ; Muñoz, 1999). Parallèlement, le géographe Gordon Brett Ingram propose, en 1997, de désigner comme « queerscape » tout « aspect du paysage social (…) incarnant un ensemble de processus s’érigeant à l’encontre de ceux qui blessent, réduisent, isolent, enferment dans des ghettos ou annihilent » les minorités sexuelles. Or, depuis cette date, le concept de « queerscape » a fait l’objet d’adaptations et permet aujourd’hui de penser des objets ou pratiques comme le cinéma (Gras-Velazquez, 2012 ; Keshti, 2009 ; Kim, 2017 ; Leung, 2001 ; Marchetti 2017), la musique (Clifford-Napoleone, 2015, 2016), ou les médias (Schwartz, 2016). Ces circulations théoriques du queerscape montrent que la fiction peut également tenir lieu d’espace communautaire de repli, de refuge et de revendication, venant non pas remplacer, mais suppléer les temporalités et espaces de rassemblements collectifs localisés ou virtuels. 

En ce sens, l’identité est également affaire d’esthétique. La notion de camp, telle que théorisée par Sontag (1964 [2018]) ou Newton (1972), sert ainsi la réflexion sur les identités culturelles LGBTQI et leurs dimensions politiques. Harvey décrit la pièce Angels in America, comme une oeuvre faisant du Camp « un signe de résistance et de solidarité gay », argumentant que sous la plume de Kushner, le concept se voit « investi d’une charge politique, qui s’inscrit dans la revendication d’une différence homosexuelle irréductible et subversive » (Harvey, 1998). Parallèlement, Le Talec pose le camp –sa théâtralité, son humour mais aussi ses sociabilités –comme jouant « un rôle de premier plan dans la lutte contre le sida » (Le Talec, 2008), si bien que celui-ci est érigé, comme l’écrit Dyer, en moyen pour les homosexuels « d’imprégner la culture de la société dans laquelle ils 

vivent » (Dyer, 2002). La revendication de cette sensibilité est ainsi devenue constitutive d’une identité artistique et culturelle gay spécifique, faisant du goût camp le reflet d’un vécu de marginalisation. Cependant, la constitution de ces communautés de goût répond également à des rapports de pouvoir internes aux communautés LGBTI et queer, entrainant la reproduction de normes d’(il)légitimations culturelles (Le Guern, 2007)… Et ceci tandis que, d’autre part, des formes de sensibilités esthétiques a priori minoritaires, alternatives, ou radicales se voient canonisées, par le biais de la recherche académique ou d’une incorporation dans une industrie dominante (Paudler, 2019 ; Shetina, 2018, entre autres). 

Le corps de l’artiste, lorsqu’il cristallise les enjeux et l’urgence de luttes politiques, se fait aussi vecteur d’une émancipation individuelle au potentiel néanmoins collectif. Ainsi, ces pratiques, qu’il convient également d’envisager comme des stratégies militantes, s’enracinent dans une histoire des luttes (Lebovici, 2017) et attestent de la place singulière de l’individu dans les mobilisations collectives comme artistiques, les trajectoires personnelles faisant corps avec la communauté. Les recherches de Renate Lorenz (2018) —mais aussi ses productions artistiques avec Pauline Boudry pour N.O. Body (2008) —mobilisent d’une part le croisement de pratiques artistiques, scientifiques et militantes et d’autre part l’exploration de nouvelles perspectives temporelles dans l’histoire des représentations de corporéités marginales ou marginalisées. Dans une dynamique similaire, les concepts de lignées (Alfonsi, 2019) et de « queeriosité transhistorique » (Villemur, 2007) ouvrent à une meilleure compréhension des enjeux et des modalités de dynamiques subjectives et affectives dans l’articulation de corpus sonores, iconographiques et théoriques comme dans la construction —non plus d’une, mais —d’histoires des représentations. 

Ces multiples exemples d’interactions, frictions et tensions entre création artistique, production médiatique et culturelle, mobilisations et identités collectives LGBTIQ dénotent d’une profusion de problématiques, objets et événements à analyser. Les propositions de contribution pourront donc aborder des thèmes s’inscrivant dans les perspectives proposées ci-après –sans toutefois nécessairement s’y limiter. Si nous n’imposons aucune limite géographique ni historique, nous insistons toutefois sur l’attention toute particulière avec laquelle nous évaluerons les propositions se situant au croisement de plusieurs disciplines et champs d’étude, parmi lesquels la sociologie, l’anthropologie, l’esthétique, les sciences de l’art, la musicologie et l’ethnomusicologie, la géographie culturelle, les sciences de l’information et de la communication ou les cultural studies. Il nous semble, de plus, primordial de s’attacher à ne pas séparer l’analyse formelle des objets, de l’analyse de leurs contextes de production ou de réception. 

Dans tous les cas, il s’agira de se souvenir que les communautés et mouvements LGBTI et queer sont également traversés par d’autres rapports sociaux de pouvoir s’articulant autour du genre, de la classe, de la race, de la validité ou de l’âge (Clay, 2017 ; Logie & Rwigema, 2014 ; Ukaegbu, 2007), ceci dans une perspective intersectionnelle (Collins, 2016). Nous porterons alors une attention spécifique aux contributions qui étudient la manière dont les processus de construction d’identités collectives LGBTI ou queer interagissent avec différents rapports sociaux, tant dans la perspective d’une analyse des dynamiques de pouvoir, que dans l’étude de la mise en oeuvre de coalitions. 

  • Création, réception, circulations et savoirs communautaires. 

Des séries télévisées de grande audience comme The L Word ou Queer as Folk aux fanzines queer imprimés à quelques centaines d’exemplaires, sans oublier pièces de théâtre, films, expositions d’art contemporain, disques et concerts, ouvrages littéraires, etc., les identités collectives LGBTIQ sont représentées, mobilisées, disputées voire construites au moyen d’un vaste champ de productions artistiques et culturelles, cristallisant de multiples enjeux : lorsque certaines semblent exercer un pouvoir normalisateur, d’autres brouillent les limites entre création artistique et support militant. La 

réception n’est par ailleurs pas dénuée de dynamiques similaires, et l’on observe des communautés LGBTIQ de « fan activistes » se former autour d’oeuvres variées et se mobiliser pour de meilleures ou de plus nombreuses représentations LGBTIQ dans les productions culturelles et médiatiques. Parallèlement, des artistes, professionnels comme amateurs, s’approprient, détournent ou parodient des contenus afin de leur ajouter un sous-texte LGBTIQ. 

Si certaines de ces productions artistiques ou médiatiques sont collectives, d’autres sont le fait d’un auteur unique. Toutes portent cependant un regard, individuel ou collectif, sur les communautés LGBTIQ et leurs luttes ou se font l’écho de savoirs communautaires. S’ouvrent ainsi des dialogues où échangent communauté, oeuvres, et artistes, créateurs ou producteurs. Comment l’analyse des procédés de création ou de réception peut-elle nous éclairer sur ces échanges qui façonnent les identités collectives ? Comment ceux-ci participent-ils aussi de la construction

de (contre-)canons esthétiques, tant au sein de communautés « underground » que par la circulation des esthétiques et productions artistiques et culturelles LGBTIQ dans des milieux institutionnels ? 

  • Médiations et médiatisations des luttes LGBTIQ 

À l’image de l’histoire d’Act Up-Paris, mise en scène dans le film 120 battements par minutes, les luttes LGBTIQ font l’objet également de médiatisations, et leurs productions artistiques et culturelles de patrimonialisations. Ainsi, si ces productions jouent par exemple un rôle dans la formation de, ou la résistance à des formes d’homonormativité, leurs dispositifs de médiation s’inscrivent également dans des cadres variés, répondant à des demandes tantôt institutionnelles, tantôt sub-ou contre-culturelles. Or, il nous faut envisager ces médiations comme façonnant les modalités de transmission et de circulation des idées et des objets. Sur quels instants des luttes LGBTIQ les productions artistiques, médiatiques et culturelles attirent-elles notre regard ? Lesquels sont à l’inverse occultés ? Et plus encore, comment le cadre de diffusion ou de consommation de ces productions répond-il lui aussi à des enjeux et des revendications identitaires ? 

  • Donner corps aux luttes et aux cultures LGBTIQ 

La construction d’une réflexion autour des corps LGBTIQ peut, au-delà d’un adossement iconographique, trouver dans des représentations antérieures des analogies avec des sphères de revendications plus contemporaines, invitant à une analyse des propositions d’écritures critiques et alternatives de l’histoire de l’art, dans des perspectives tant épistémologiques qu’artistiques. S’inscrivant dans une approche émancipatrice des sciences de l’art, cette mise en visibilité de pratiques et de corpus artistiques constitue un enjeu politique certain dans le monde de la recherche scientifique, mais aussi pour les institutions artistiques ou les groupes militants. Les analyses de corpus visant leur actualisation (voire (ré)activation) au prisme d’un bagage théorique issu des réflexions sur le genre et la sexualité pourront être accueillies au sein de ce numéro. Quelles sont les modalités et les enjeux de telles démarches ? Comment celles-ci engagent-elles les chercheur·es ? Ainsi, donner corps peut être entendu comme une mise en forme, en cohérence, de pratiques, de témoignages, d’images, de textes ou de toutes autres productions liées aux luttes et cultures LGBTIQ, dans leur contexte initial comme dans la lecture (à la dimension affective parfois revendiquée) qui en est faite. Il sera donc possible d’explorer toute démarche d’articulation de corpus, polymorphes ou non, en lien avec les luttes et cultures LGBTIQ. 

Ce donner corps pourra aussi être envisagé comme l’incarnation d’enjeux politiques à même le corps de l’artiste. La performance dans l’espace public, comme le happening militant pourront, parmi diverses pratiques, être sujets de réflexion. Nous invitons ainsi à questionner la porosité entre création artistique et activisme LGBTIQ, y compris dans le cadre d’une démarche de type recherche création. 

Soumettre une proposition : 

Les propositions d’articles, d’environ 500 mots, comprennent un titre, une présentation de l’article, les objets et les méthodes, ainsi que les nom, prénom, statut, rattachement institutionnel et email de l’auteur·e. Elles doivent être envoyées pour le 15 mars 2021 au plus tard aux coordinatrices du dossier Louise Barrière (  louise.barriere@univ-lorraine.fr ) et Mélodie Marull (  melodie.marull@univ-lorraine.fr ), ainsi qu’au comité de rédaction de la revue Genre, sexualité & société (  revuegss@gmail.com ). 

Les auteur·e·s seront avisé·e·s par mail des propositions retenues avant le 15 avril. Les articles, inédits (35.000 à 60.000 signes), devront être envoyés le 1er septembre 2021 au plus tard. Les instructions aux auteur·e·s pour la rédaction des articles sont disponibles en ligne (https://journals.openedition.org/gss/747). Suivant la politique éditoriale de la revue, chaque article fera l’objet d’une double évaluation anonyme. L’acceptation de la proposition ne signifie donc pas acceptation automatique de l’article. Les articles retenus seront publiés dans le n°27 à paraître au printemps 2022.